Pesticides et biodiversité : une expertise INRAE-Ifremer fait le point sur les connaissances et les impacts

Du champ à la mer en passant par la ville : plus de 4000 références scientifiques étudiées pour dresser un bilan des liens entre emploi de produits phytosanitaires et déclin de la biodiversité

Focus sur les principaux apprentissages.

Deux ans de travail et 46 chercheurs ont été mobilisés pour cette expertise française. Le bilan est clair : oui, les pesticides contaminent tous les milieux y compris les fonds marins; oui, l’emploi de pesticides est bien l’un des facteurs clés d’une érosion sans précédent de la biodiversité.

Quels milieux sont les plus touchés ?

Tous les matrices environnementales sont contaminées, une fois que les pesticides ont la capacité de migrer avec l’air et l’eau et que leur dégradation est souvent trop lente (jusqu’à plusieurs dizaines d’années). Dans l’eau, ce sont majoritairement les herbicides qui dominent (car davantage hydrophiles), alors que dans le sol et les sédiments les insecticides sont prépondérants. Les fongicides, eux, sont ubiquistes mais plus retrouvés dans le sol et l’air que dans l’eau. Spatialement, la contamination est plus marquée à proximité des zones de traitement, les espaces agricoles et zones avoisinantes.

Quels effets sur la biodiversité ?

Ils sont multiples et « de plus en plus d’effets non attendus et sans relation claire avec le mode d’action connu des pesticides sont mis en évidence » (système nerveux, immunitaire, endocrinien…).

Peu de travaux scientifiques parviennent à décrire la relation entre les perturbations physiologique et comportementale des individus et la dynamique des populations. De plus, les résultats existants mettent en exergue une sélectivité des pesticides plus faible que ce à quoi on pourrait s’attendre. Le spectre d’action des pesticides est plus large que les seuls organismes ciblés initialement par les fabricants.

En d’autres termes, les études environnementales réglementaires qui servent à autoriser ou non la mise en marché d’une molécule pesticide ne permettent pas de conclure sur les effets indirects et non intentionnels de ces molécules sur le milieu. Réduction des ressources alimentaires, destruction des habitats naturels des populations, compétition pour les ressources… sont autant d’effets indirects réels qui se cumulent et qui seraient a priori les plus délétères sur la biodiversité.

« C’est avant tout l’étendue, l’intensité et la répétition de l’emploi de pesticides qui déterminent la gravité de leurs effets » sur la biodiversité.

Quels groupes biologiques sont les plus touchés ?

« Les connaissances acquises renforcent le lien de causalité entre l’utilisation de [pesticides] et le déclin constaté depuis plusieurs décennies des populations d’invertébrés et d’oiseaux, notamment dans les espaces agricoles. Les [pesticides] sont également fortement suspectés de contribuer au large déclin des populations de chauves-souris et d’amphibiens. »

Du coté des invertébrés, l’impact est majeur sur les lépidoptères (papillons), les hyménoptères (abeilles, bourdons, etc.) et les coléoptères (coccinelles, carabes, etc.). Les insecticides (mais aussi les herbicides par leur impacts sur les habitats et ressources) sont les principaux responsables.

Du coté des vertébrés, oiseaux, chauve-souris et amphibiens sont les groupes les plus affectés.

Pesticides, seuls responsables ?

Non. Selon le collectif de chercheurs, les pesticides constituent la 4e cause du déclin de la biodiversité. Les trois causes principales sont la destruction des habitats (urbanisation, intensification agricole) et les évolutions liées au changement climatique et aux espèces envahissantes.

En somme, l’emploi de pesticides est un des ingrédients d’un cocktail multifactoriel qui amplifie la pression posée par l’Homme sur la biodiversité.

Et maintenant, que faire  ?

Il va sans dire, le problème est d’une grande complexité. Du coté de la connaissance, mesurer les effets directs et indirects de cette contamination sur tous les milieux et espèces est une tâche impossible.

Du coté des solutions, le collectif de chercheurs liste quelques leviers. L’interdiction progressive des molécules les plus préoccupantes est un levier majeur, mais présente des limites (sous-estimation de l’effet « cocktail » et des éventuels effets indirects, notamment).

D’autres leviers sont cités par le collectif pour réduire l’impact des pesticides sur la biodiversité : réduction voire suppression de l’usage en parcelle via la transition agro-écologique des exploitations ; aménagements paysagers pour limiter les transferts mais aussi pour préserver habitats et zones refuges ; déploiement d’alternatives comme le biocontrôle et la biodiversité des couverts végétaux… Sont autant « d’actions complémentaires à terre qui permettent d’atténuer leur dispersion jusqu’à la mer et leurs impacts, sans les neutraliser totalement ».

Enfin, l’expertise souligne l’importance d’approfondir la connaissance sur les impacts de pesticides sur la biodiversité marine et ultra-marine. Mais aussi et surtout, est mis en avant un besoin accru de travaux de recherche avec des stratégies plus intégrées « pour permettre de rendre compte de la réalité complexe des expositions aux pesticides et de leurs effets » car « les lacunes de connaissance sont encore importantes ».

Retrouvez le communiqué de presse, le résumé et l’étude intégrale de cette expertise dans la page web dédié, ici.

 

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Sources :(c) IFREMER et INRAE

Images : FREDON Occitanie